Achille Laugé
Achille Laugé
Arzens 1861 - Cailhau 1944
Still Life with Flowers, Grapes and Apples | Nature morte aux fleurs, raisins et pommes

Huile sur toile
Signé en haut à droite : A. Laugé
25,9 x 32,5 cm (11 ¾ x 15 ¼ in.)
Provenance
Collection privée, Belgique
Fils de cultivateur, Laugé est très tôt attiré par la peinture, au point de peindre par nécessité avec des pigments trouvés dans la nature : « [...] la mûre de son jus vineux lui donne, écrasée, le rouge ; l'ail sauvage de sa bulle crevée, fait un beau bleu ; quant au jaune, il n'a pas trouvé de plante généreuse qui le lui offre, et sur ses petites économies, il l'achète à la ville », écrit son ami Jean Girou.
Il prend des cours à Toulouse avec Antoine Bourdelle, Henri Martin et Henri Marre puis, en 1881, part à Paris où il retrouve les deux premiers. Étudiants sans le sou, ces Méridionaux partagent logements de misère et repas de fortune. À l'École des beaux-arts, Laugé suit, avec Aristide Maillol, les cours de Jean-Paul Laurens et d'Alexandre Cabanel, lequel les exhorte à ne pas céder au pointillisme avant d'avoir appris à dessiner. Outre les cours donnés par leurs professeurs aux méthodes académiques rigides, le jeune artiste bénéficie de la vie culturelle et artistique parisienne des années 1880, véritablement révolutionnée par les audaces des peintres impressionnistes dont les toiles sont exposées dans les salles du Panorama de Reichshoffen, chez Durand-Ruel, rue Saint-Honoré, rue Lafitte ou ailleurs. Les œuvres de Puvis de Chavannes exposées au Salon de 1886 marqueront durablement Laugé par leur simplicité, leur dépouillement et leur stature, des qualités qu'il associera plus tard à ses recherches sur la décomposition des tons pour former l'essentiel de son style.
Bien qu'en contact constant avec « la véritable révolution apportée par les audaces lucides de la phalange impressionniste [1] » qui s'opère à Paris, ce n'est qu'une fois rentré chez lui qu'il commence à s'intéresser à ces techniques picturales pratiquées par Seurat, Signac, Pissarro, Angrand, Dubois-Pillet. Doté d'un solide bagage artistique et bien au fait des nouveautés impressionnistes et postimpressionnistes, il s'installe en 1889 à Carcassonne où la lumière dense et contrastée du Sud va l'amener naturellement à un divisionnisme solide et géométrique, plus inspiré par Pissaro que par Monet. Il bénéficie de soutiens solides au cœur d'un groupe d'amis, notamment Achille Astre qui ouvrira en 1905 une galerie à Paris, rue Laffitte, Achille Rouquet, écrivain, dessinateur et graveur de La Revue méridionale qu'il a fondée en 1886, les poètes Prosper Estien et Achille Mir, Jean Alboize, futur directeur de la revue L'Artiste et conservateur du musée de Fontainebleau, enfin, la famille Sarrault, très implantée dans la ville, dont Laugé fera de nombreux portraits. Après Carcassonne, il s'installe à Cailhau, Alet et Toulouse.
Dans cette magnifique nature morte qui date des années 1890, Laugé suit la règle édictée par Seurat et publiée par Signac dans son ouvrage D'Eugène Delacroix au Néo-Impressionnisme : il utilise des couleurs pures – les trois couleurs primaires – qu'il divise mais ne mélange pas, les juxtaposant pour créer des nuances et des couleurs d'éclairage par effet d'optique ; il utilise l'ombre bleue, « fidèle complémentaire de son régulateur la lumière ». Mais Laugé n'est pas dogmatique et son travail ne s'intéresse pas en profondeur à l'aspect scientifique de la recherche sur la division des tons et les théories de la couleur. C'est principalement la poésie des effets de lumière et des alternances de couleur qui le fascine dans cet arrangement des fleurs et des fruits de son jardin, assemblés avec simplicité sur une nappe blanche. Il est sans doute aussi influencé par le japonisme, en vogue, dont il a pu prendre connaissance grâce aux nombreuses estampes alors exposées et collectionnées. Dans la partie supérieure de sa composition, la toile est largement laissée en réserve pour introduire une teinte plus chaude dans le bleu clair du fond. De même, sa signature qui se détache en rouge sur le fond bleu vient réveiller et tonifier la tendance froide. Le verre dans lequel baignent les œillets rouges et les fleurs blanches est peint de la même façon que le fond de la partie supérieure du tableau, et c'est donc principalement par un effet d'optique que le spectateur reconstitue mentalement sa présence. La recherche d'équilibre, de géométrie est évidente dans cette nature morte composée d'une répartition savamment équilibrée entre grandes et petites sphères – pommes et raisins – posées sur un plat circulaire, près de la forme cylindrique du verre. Seules les fleurs ont une forme aléatoire, organique, qui forme un contraste avec la géométrie du reste du tableau.
Les œuvres de Laugé ne furent jamais admises aux salons officiels. Il exposa au Salon des Indépendants en 1894, dont la plupart des œuvres suscitèrent de violentes critiques. La même année, il participa à une exposition avec le groupe des Nabis à Toulouse. Au début du XXe siècle, il travailla à des cartons de tapisserie pour la manufacture des Gobelins et exposa, dans de nombreuses galeries parisiennes, notamment celle de son ami Achille Astre mais aussi chez Bernheim-Jeune et Georges Petit, ses toiles méditatives et silencieuses. Cette nature morte sera incluse dans le prochain catalogue raisonné des œuvres d'Achille Laugé par Nicole Tamburini.
[1] Albert Sarrault dans la préface du catalogue de l'exposition Achille Laugé et ses amis Bourdelle et Maillol, cité dans Nicole Tamburini, Achille Laugé 1861-1944, Portraits pointillistes, catalogue d'exposition, Saint-Tropez, musée de l'Annonciade, Carcassonne, Musée des beaux-arts, 1990, p. 16.