Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto
Giovanni Antonio Canal, called Canaletto
Venise 1698 – 1768
The Coronation of the Doge on the Scala dei Giganti | Le Couronnement du doge sur l'escalier des Géants

Plume et encre brune, trois teintes de lavis gris, rehauts de craie blanches sur pierre noire, encadrement original à la plume et encre brune
389 x 554 mm (15 ¼ x 21 ¾ in.)
Provenance
Probablement commandé par Ludovico Furlanetto à Venise ; découvert par Sir Richard Colt Hoare, 2nd baron, chez un libraire de Venise (probablement Furlanetto), vers 1787-1789 ; de là par succession à Stourhead dans le Wiltshire à Sir Henry Ainslie Hoare, 5e baron (1824-1894) ; vente de l'héritage de Stourhead, Londres, Christie's, 2 juin 1883, lot 28, à Grindley, au nom d'un membre de la famille Hoare ; A.H Hoare à Ovington Park dans le Hampshire, par succession dans la famille Hoare jusqu'en 2005 ; collection particulière (prêté au cours des dernières années au département des Estampes et des Dessins du British Museum).
Expositions
Venise, Fondation Giorgio Cini, Disegni Veneti di collezioni inglesi, 1980, catalogue d'exposition, n° 111 ; Venise, Fondation Giorgio Cini, Canaletto. Disegni – Dipinti – Incisioni (catalogue par Alessandro Bettagno), 1982, p. 51-2, n° 66).
Bibliographie
- Sur le présent dessin
Sir R. Colt Hoare, Bart, Modern Wilts – Hundred of Mere, London 1822, p. 75 ; W. G. Constable & J. G. Links, Canaletto. Giovanni Antonio Canal (1697-1768), première édition, 1976, p. 483, n° 632 ; 3e édition, Oxford, 1989, vol. II, p. 528, n° 632, reproduit dans vol. I, pl. 115.
- Sur la série de dessins des Feste Ducali de Canaletto
Sir R. Colt Hoare, Modern Wilts – Hundred of Mere, Londres, 1822, p. 75 ; K.T. Parker, The Drawings of Antonio Canaletto in the Collection of His Majesty the King at Windsor Castle, Oxford et Londres, 1948, p. 18 ; F.J.B. Watson, Canaletto, Londres, 1949, p. 20-21 ; J. Byam Shaw, The Drawings of Francesco Guardi, Londres, 1951, p. 19 ; F.J.B. Watson catalogue d'exposition, Eighteenth Century Venice, Whitechapel Art Gallery, Londres, et Museum and Art Gallery, Birmingham, 1951, p. 12, sous le n° 5 ; V. Moschini, Canaletto, Londres et Milan, 1954, p. 48-50 ; V. Moschini, Francesco Guardi, Londres, 1956, p. 28 ; R. Pallucchini, La Pittura Veneziana del Settecento, Venise et Rome, 1960, p. 111 ; W.G. Constable, Canaletto, Oxford, 1962 (et éditions ultérieures révisées par J. G. Links), I, p. 152, pl. 115 ; II, nos 630 et 632 ; V. Moschini, Canaletto [The Great Masters of Drawing], Milan, 1963, p. 14 (édition italienne, Milan, 1978, p. 13) ; P. Zampetti, catalogue d'exposition I Vedutisti Veneziani del Settecento, Palazzo Ducale, Venise, 10 juin-15 octobre 1967, p. 180, n° 83, et p. 182, n° 84 ; Catalogue d'exposition Fantasy and Reality in Eighteenth Century Venice : An Exhibition of Fine Venetian Engravings, Thos. Agnew & Sons, Londres, 19 avril-14 mai 1971, n°s 184 et 186 ; P. Rosenberg dans le catalogue d'exposition Venise au dix-huitième siècle : Peintures, dessins et gravures des collections françaises, Orangerie des Tuileries, Paris, 21 septembre-29 novembre 1971, p. 77 ; P. Zampetti, A Dictionary of Venetian Painters. Volume 4. 18th Century, Leigh-on-Sea, 1971, p. 24 ; F. Rusk Shapley, Paintings from the Samuel H. Kress Collection : Italian Schools XVI-XVIII Century, Londres, 1973, p. 163, n° K433 ; T. Pignatti, catalogue d'exposition Venetian Drawings from American Collections, National Gallery of Art, Washington ; Kimbell Art Museum, Fort Worth ; et St. Louis Art Museum, 1974-1975, p. 50, n° 104 ; F. Rusk Shapley, National Gallery of Art, Washington : Catalogue of the Italian Paintings, Washington, 1979, I, p. 106-107 ; C. Lazzaro, catalogue d'exposition Eighteenth-Century Italian Prints, Stanford Art Gallery, Stanford University, Californie, 16 décembre 1980-2 mars 1981, p. 19, n° 20 ; J.G. Links, Canaletto, Oxford, 1982, p. 212, 215 et 222 ; 2nd ed., Londres, 1994, p. 233, 235 et 239 ; D. Succi dans le catalogue d'exposition Da Carlevarijs ai Tiepolo : Incisori veneti e friuliani del Settecento, Palazzo Attems, Gorizia, et Museo Correr, Venise, 1983, p. 81 et 89, n° 59 ; A. Corboz, Canaletto. Una Venezia immaginaria, Milan, 1985, II, p. 491, fig. 525 (L'escalier des Géants), et p. 767, n° D 221 et D 223, tous deux illustrés. A. Bettagno, « Fantasy and Reality in Canaletto's Drawings » dans le catalogue d'exposition Canaletto, Metropolitan Museum of Art, New York, 30 octobre 1989-21 janvier 1990, p. 50 ; K. Baetjer et J.G. Links dans ibid., p. 347-348 ; M. Azzi Visentini dans le catalogue d'exposition Francesco Guardi : Vedute Capricci Feste, Isola di San Giorgio Maggiore, Venise, 28 août-21 novembre 1993, p. 177 et 188 ; G. Knox, « Four Canaletti for the Duke of Bolton. And two "Aide-memoire" », Apollo, CXXXVIII, n° 380 (New Series), octobre 1993, p. 249 ; D. Succi, Francesco Guardi : Itinerario dell'avventura artistica, Milan, 1993, p. 83 ; J.G. Links dans le catalogue d'exposition The Glory of Venice : Art in the Eighteenth Century, Royal Academy of Arts, Londres, et National Gallery of Art, Washington, 1994-1995, p. 243 ; R. Bromberg dans ibid., p. 440 ; J.G. Links dans le catalogue d'exposition Splendori del Settecento Veneziano, Venice, 26 mai-30 juillet 1995, p. 283 ; A. Perissa Torrini dans ibid., p. 438, sous le n° 160 ; R. Pallucchini, La pittura nel Veneto : Il Settecento, I, ed. M. Lucco et al., Milan, 1995, p. 507-508 ; F. Pedrocco, Canaletto and the Venetian Vedutisti, New York, 1995, p. 70 ; J. Ingamells, A Dictionary of British and Irish Travellers in Italy 1701-1800 compiled from the Brinsley Ford Archive, New Haven et Londres, 1997, p. 504 ; L. Urban dans le catalogue d'exposition Venezia da Stato a Mito, Fondazione Giorgio Cini, Venice, 30 août-30 novembre 1997, p. 360, n° 41 ; F. Magani dans le catalogue d'exposition Giuseppe Bernardino Bison pittore e disegnatore, Chiesa di San Francesco, Udine, 24 octobre 1997-15 février 1998, p. 47 et 210, n° 21 ; D. Bomford et G. Finaldi, catalogue d'exposition Venice through Canaletto's Eyes, National Gallery, Londres, York City Art Gallery, et Glynn Vivian Art Gallery, Swansea, 1998-1999, p. 53 ; N. Volle dans le catalogue d'exposition Settecento : Le siècle de Tiepolo. Peintures italiennes du XVIIIe siècle exposées dans les collections publiques françaises, Musée des beaux-arts, Lyon, et Palais des beaux-arts, Lille, 2000-2001, p. 116 (affirmant de façon fausse que les dix dessins de la série se trouvent au British Museum) ; T. Pignatti, Antonio Canal detto il Canaletto, ed. Florence, 2001, p. 172, 176 et 180; J. Hedley, « Visions of Venice : Four newly conserved Venetian views by Francesco Guardi (1712-93) at the Wallace Collection », Apollo, CLV, n° 481 (New Series), mars 2002, p. 42 ; J. Hedley, Visions of Venice : The conservation of five Venetian view paintings at the Wallace Collection, Newnham, 2002, p. 11 ; F. Pedrocco, Visions of Venice : Paintings of the 18th Century, Londres et New York, 2002, p. 203 ; S. Duffy et J. Hedley, The Wallace Collection's Pictures : A Complete Catalogue, Londres, 2004, p. 68 ; B.A. Kowalczyk, catalogue d'exposition Canaletto : Il trionfo della veduta, Palazzo Giustiniani, Rome, 12 mars-19 juin 2005, p. 264[1].
Ce dessin de grand format, magnifiquement préservé, issu d'une longue lignée de collectionneurs anglais, est considéré comme l'une des plus belles œuvres sur papier jamais réalisée par Canaletto. Il fait partie de la grande série originale décrivant les cérémonies et les fêtes des doges, les Feste Ducali, illustrant l'élection et l'installation du doge, ainsi que les fêtes vénitiennes qu'il dirigeait tout au long de l'année. Les dessins ont été conçus comme des œuvres achevées de grand format, et furent ensuite gravés dans le même sens par Giovanni Battista Brustoloni (1712-1796). Il existe aujourd'hui dix dessins de cette série : quatre sont conservés au British Museum et deux à la National Gallery de Washington[2]. Canaletto prit plaisir à décrire la foule vénitienne, les monuments et les traditions de la ville. Par son échelle et sa composition complexe, c'est ici l'une de ses plus ambitieuses représentations de la ville. La minutie des détails ainsi que le rendu de l'ombre et de la lumière animent la scène d'une façon captivante : ils mettent en valeur l'incroyable profusion des éléments architecturaux de la façade, la monumentalité des sculptures de Sansovino, l'animation des spectateurs assistant à la scène depuis les rebords des fenêtres et des balustrades, jusqu'à celle des chiens errant au travers de l'assemblée bigarrée des habitants de la Sérénissime.
Si la précision architecturale est au cœur de l'art de Canaletto, les représentations d'événements historiques s'y font plutôt rares. Le grand escalier cérémoniel, l'escalier des Géants, menant à la cour centrale du palais des Doges, est le point focal de la scène qui fut la troisième de la série à être gravée. Les innombrables figures de spectateurs et de gardes rapetissent au fur et à mesure que sont gravis les escaliers : il faut alors deviner la minuscule figure du doge, au-dessus duquel est maintenue un chapeau – la corne ducale. Sa formation initiale auprès de son père scénographe a pu encourager Canaletto à composer la scène avec le plus d'esprit et de sens dramatique possible. En insérant le spectateur dans l'événement représenté, et à travers l'extraordinaire richesse des détails qu'il décrit, Canaletto exprime tout la vivacité et la magnificence de la ville et de ses traditions cérémonielles.
La série des fêtes ducales est tardive dans la carrière de Canaletto ; leur commanditaire pourrait être l'éditeur et libraire Ludovico Furlanetto. La dimension des dessins et leur extraordinaire qualité indiquent l'importance du projet. Canaletto était particulièrement fier de ses capacités de dessinateur dans ses dernières années comme le montre une inscription sur un dessin plus ou moins contemporain conservé à Hambourg : « I Zuane Antonio da Canal, Have made the present drawing [...] at the age of 68 Years Without Spectacles. The year 1766 ». L'ingéniosité des compositions est attestée par le succès immédiat que reçurent les gravures et la série de peintures correspondante, réalisée par Francesco Guardi d'après les estampes[3]. Les huit premières gravures furent mises en vente par l'éditeur Ludovico Furlanetto en mars 1766. Quatre mois plus tard, il fit agrandir la série à douze planches. On ne connaît ni l'ordre de réalisation des dessins, ni même l'année durant laquelle le travail débuta, mais comme l'un des dessins de Washington, Le Doge assiste au Jeudi Gras sur la Piazzetta, montre les armes du doge Alvise Mocenigo IV qui fut élu en 1763, on peut supposer qu'il s'agit d'une année particulièrement importante, et donc celle de cette série. L'année 1763 est aussi celle de l'élection, tardive, de Canaletto à l'Académie de Venise. Les dessins seraient-ils une riposte destinée aux académiciens qui avaient négligé le travail de Canaletto, probablement en le catégorisant comme peintre de vedute[4] ? À moins que l'œuvre peinte par Canaletto en 1760 à l'occasion d'une cérémonie triomphale annuelle, Le Retour du doge au Bucentaure, le jour de l'Ascension (Dulwich Picture Gallery, Londres), n'ait été le catalyseur de la série de dessins. Il n'y a pas de traces des onzième et douzième dessins de la série et les Feste Ducali furent probablement sa dernière grande commande. En fait, des douze estampes, seules dix ont été gravées de façon certaine d'après des dessins de Canaletto, ou d'après des copies inversées pour la gravure[5]. Aucune peinture attribuée à Canaletto n'a été réalisée à partir des compositions[6] et à en juger par les différences dans le caractère des gravures, les deux modèles manquants pourraient être des tableaux de Francesco Guardi[7]. Le marchand vénitien Giovanni Maria Sasso fit remarquer à Sir Abraham Hume dans une lettre de 1789 « che sono Belli quanto quadri », et en effet, les gravures de Giovanni Battista Brustoloni, l'un des plus grands graveurs de Canaletto, portent la lettre « Antonius Canal pinxit » et non pas l'habituel delineavit. L'extraordinaire talent et le plaisir artistique que l'on peut observer dans l'œuvre présente attestent nettement que Canaletto était alors au sommet de ses capacités de dessinateur, comme l'écrivit William Georges Constable : « The Feste Ducali [...] sont aussi élaborés que tous les dessins de Canaletto [...]. En même temps, ils résultent en grande partie d'une série de gestes d'une extrême dextérité graphique, réalisés dans le cadre de modèles habilement artificiels[8]. »
L'ampleur du succès de Canaletto s'appréhende mieux en réalisant qu'à sa mort en 1767, des mille cinq cents peintures et dessins de sa main, seulement vingt-huit restaient invendus dans son atelier. Et pourtant, selon Joseph Gluckstein Links, s'il ne mourut pas en miséreux, c'était tout de même un homme pauvre.
La découverte des dix immenses dessins par Sir Richard Colt Hoare (1758-1838) dans une librairie vénitienne (probablement celle de Ludovico Furlanetto, éditeur des estampes de Brustolon) lors de son grand tour entre 1787 et 1789, lui permit cette remarquable acquisition. Hoare emporta les dix dessins à Stourhead dans le Wiltshire, où, pendant la décennie suivante, ils furent accrochés dans la bibliothèque conçue à cet effet (une aquarelle montre Sir Richard avec les dessins de Canaletto, encadrés et disposés autour de la cheminée). La pièce était sans doute plongée dans l'obscurité car les dessins, et particulièrement celui-ci, sont dans un état exceptionnel. Ce dessin a certainement été particulièrement admiré puisqu'il fut l'un des deux seuls de la série à avoir été rachetés par un membre de la famille lorsque les biens de Stourhead furent dispersés en vente en 1883.
[1] La bibliographie concernant la série des dessins relatifs au Feste Ducali a été compilée par Charles Beddington que nous remercions ici de nous l'avoir aimablement communiquée.
[2] Pour le groupe existant de dessins, voir Constable et Links, op. cit., Literature, 1989, vol. II, p. 525-532, cat. 630-639.
[3] Les peintures de Guardi d'après les gravures de Brustolon sont partagées entre le Louvre, différents musées de province en France et le Musée des beaux-arts de Bruxelles. Voir Antonio Morassi, Guardi, L'opera completa di Antonio and Francesco, Venise 1973, cat. 243-254.
[4] Voir J.G. Links, dans Jane Martineau et Andrew Robison, The Glory of Venice, catalogue d'exposition, New Haven et Londres, 1994, p. 240.
[5] La description Antonio Canal Pinxit utilisée dans les lettres des gravures a mené certains chercheurs à penser que les estampes ont été réalisées d'après Canaletto mais cette hypothèse n'est plus d'actualité. Voir la page dédiée sur la base de données du département des Estampes et Dessins du British Museum : numéro d'inventaire : 1910,0212.18
[6] Comme les contours des dessins n'ont pas été incisés, les motifs ont dû être transférés sur papier-calque. Cette méthode de transfert aurait permis de graver les compositions en sens inverse sur la plaque, assurant ainsi le retour au sens original lors de l'impression.
[7] Voir J.G. Link, op. cit., 1994, p. 243
[8] Voir Constable et Links, op. cit., p. 152.