Giovanni Battista Tiepolo
Giovanni Battista Tiepolo
Venice 1696 – Madrid 1770
Study of a Sitting Male Nude | Académie d'homme assis
Pierre noire, sanguine, rehauts de craie blanche, filigrane trois étoiles dans des armoiries surmontées d'une fleur de lys
420 x 294 mm (16 1/2 x 11 1/2 in.)
Ce dessin appartient à une série d'académies d'après des modèles masculins, qui documentent l'activité graphique du jeune Tiepolo, à une époque où il décida de quitter l'atelier de son premier maître Gregorio Lazzarini tant il « différait de sa manière diligente ; plein d'esprit et de feu, il en avait adopté une rapide et résolue », explique Vincenzo da Canal.[1]
La feuille – peut-être inspirée des Maures de la fontaine de Pietro Tacca à Livourne, par l'intermédiaire d'une sculpture dérivée ou d'une gravure – est comparable par sa morphologie et son style à celle de L'Ecole du Nu qui figure aujourd'hui dans une collection privée de Londres. Elle fut publiée alors qu'elle était encore dans la collection Rasini de Milan, attribuée à Marco Pitteri par Antonio Morassi[2], qui la rendit à Tiepolo mais qui pensait qu'elle représentait l'Académie de Lazzarini. La scène est aujourd'hui, avec peut-être plus de justesse, identifiée comme l'Académie du jeune Tiepolo.[3]
À cette activité, illustrée par le dessin de la collection Rasini, se rapportent encore quelques feuilles, d'une teneur formelle similaire, parmi lesquelles il faut surtout citer l'Académie d'homme debout à la massue des Offices (7084 S), œuvre que j'ai moi-même rendue à Tiepolo, corrigeant une ancienne attribution à Piazzetta[4], l'Académie d'Homme avec une couronne de laurier dans une collection privée de Zurich, signalée par Morassi[5], et enfin l'Académie d'homme assis de la Staastgalerie de Stuttgart, signée, elle aussi unanimement considérée comme une des premières œuvres de Tiepolo.[6]
On peut noter en outre des analogies stylistiques entre cette feuille et d'autres académies masculines, telles que l'Académie d'homme au serpent de la collection Fantoni di Rovetta[7]. Le traitement général du clair-obscur en pointillé est ainsi particulièrement caractéristique et peut être observé sur de nombreuses feuilles provenant d'un album démembré que j'ai reconstitué[8], conservées à l'Accademia Carrara di Bergamo et au Fogg Art Museum de Cambridge (Mass.).
La graphie anguleuse, presqu'effritée, du drapé qui couvre les jambes du jeune modèle et qui plus généralement en définit l'anatomie, est assez différente des académies citées ci-dessus, surtout par la technique inhabituelle des trois crayons. Elle trouve en réalité de nombreux échos dans les formules stylistiques développées par Tiepolo dans quelques dessins à la plume que j'ai réunis autour d'une Annonciation du Museo Civico di Bassano, qui démontrent aussi l'influence de Francesco Solimena sur l'artiste vénitien, et témoignent d'une tentative d'expérimentalisme culturel insolite.[9]
À ce groupe appartient encore l'étude pour une Sainte Famille adorée par saint Sébastien et saint François, dans une collection privée, publiée par Julien Stock[10]. La figure de saint Sébastien présente des solutions formelles tout à fait comparables à celles de cette Académie d'homme, ne serait-ce que par la diversité de la technique graphique adoptée.
Quoi qu'il en soit, la relation cruciale à établir est celle de Tiepolo avec Giovan Battista Piazzetta – dont le nom est inscrit par une main ancienne sur les feuilles du Fogg Museum de Cambridge appartenant à l'album précédemment cité[11] et auquel était aussi attribuée l'Académie d'homme à la massue des Offices. Le style du jeune Tiepolo se rapproche en effet de celui de Piazzetta par des propositions d'un expressionnisme accentué, mais fait aussi apparaître une manière plus personnelle, nourrie également des expérimentations de Federico Bencovich. Les deux artistes entretenaient alors un rapport d'échange artistique réciproquement bénéfique.[12]
Il faudrait plus d'éléments factuels pour pouvoir dater le dessin avec précision, mais on peut cependant, par comparaison stylistique, le rapprocher des Apôtres et des Prophètes peints vers 1715 dans les pendentifs de l'église de l'Ospedaletto de Venise ainsi que de certaines œuvres légèrement postérieures
Ugo Ruggeri
[1] Vita di Gregorio Lazzarini scritta da Vincenzo da Canal [1732], ed. G.A. Moschini, Venezia 1809, p. XXXXII
[2] Antonio Morassi, « A 'Scuola del nudo' by Tiepolo », Master Drawings, IX, 1971, pp. 43-50
[3] Bernard Aikema, Tiepolo e la sua cerchia : l'opera grafica. Disegni dalle collezioni americane, Venezia New York 1996, p. 13
[4] Ugo Ruggeri, Alcuni disegni del Settecento veneto, « Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa », Classe di Lettere e Filosofia, serie III, vol. III, 4, 1973, pp. 1027-1045, tav. CXXXI
[5] Antonio Morassi, op. cit., p. 22
[6] Bernard Aikema, op. cit., p. 30, fig 1; cf. aussi Die Zeichnungen von Giambattista, Domenico und Lorenzo Tiepolo aus der Graphischen Sammlung der Staatsgalerie Stuttgart, aus württembergischem Privatbesitz und dem Martin von Wagner Museum der Universitӓt Stuttgart, Stuttgart 1979, p. 17, cat. 1
[7] Ugo Ruggeri, « I Fantoni collezionisti di disegni antichi », in Atti del Convegno di studio I Fantoni e il loro tempo, Bergamo 1978, p. 235, fig. 5
[8] Ugo Ruggeri, « Tiepolo: fogli da un taccuino al tempo di Udine », Prospettiva 1983-1984, XXXIII-XXXVI (Studi in onore di Luigi Grassi), pp. 307-313
[9] Ugo Ruggeri, « Solimena e Venezia: qualche appunto », in Angelo e Francesco Solimena. Due culture a confronto, atti del convegno, a cura di Vega de Martini e Antonio Braca, Napoli 1994, pp. 235-243
[10] Julien Stock, Guardi, Tiepolo and Canaletto from the Royal Museum, Canterbury and elsewhere, Canterbury 1985, n. 16
[11] Cf. note 8
[12] Roberto Pallucchini, « Un Tiepolo in più, un Bencovich in meno », in Studi in onore di Giulio Carlo Argan, Roma 1984, pp. 366-374