Frans Pourbus, dit l'Ancien
Frans Pourbus, dit l'Ancien
Bruges 1545 – Antwerp 1581
Presumed Self-portrait | Autoportrait présumé

Huile sur toile
Signé et daté F. POURBUS 157. sur la palette
80,5 x 64 cm (31 ¾ x 25 ¼ in.)
Fils du peintre Pierre Pourbus et d'Anna Blondel, elle-même fille du peintre brugeois Lancelot Blondel, Frans Pourbus prolongea l'instruction acquise au sein de sa famille par un apprentissage auprès de Frans Floris, dont il devint, selon Carel Van Mander, le meilleur élève.
Le biographe des peintres nordiques dresse un compte-rendu vivant de la trop courte carrière de « l'excellent François Pourbus de Bruges ». L'« aimable et charmant » jeune homme qui « surpassa de beaucoup son père »[1] eut en 1566 l'intention de partir en Italie, comme Frans Floris l'avait fait avant lui. Carel Van Mander rapporte qu'il se rendit même en costume de voyage à Gand afin de faire ses adieux au peintre Lucas de Heere, qui avait été lui aussi, quelques années auparavant, un élève de Frans Floris. Il ne put se résoudre à partir et resta finalement pour épouser la nièce de son maître. Il devint maître à la guilde de Saint-Luc en 1569. Carel Van Mander énumère et loue nombre de ses œuvres religieuses puis raconte le décès du peintre, à 36 ans, empoisonné par des vapeurs d'égout. Son fils François Pourbus le jeune, dont le talent allait s'épanouir à travers l'Europe, avait alors une douzaine d'années.
Malgré la brièveté de sa carrière, le talent de portraitiste de Frans Pourbus l'ancien est reconnu et mis en avant par tous. Il est cependant aujourd'hui difficile de se faire une idée précise de l'étendue de son œuvre dans ce domaine. Le musée du Louvre possède de sa main un portrait de Vigilius Van Aytta (1507 – 1577), jurisconsulte et président du conseil secret des Pays-Bas à Bruxelles, qui lui avait aussi commandé un tableau pour l'église de Saint-Avon, parmi d'autres œuvres. L'œuvre présente l'austère homme de loi déjà âgé debout dans un habit noir bordé de fourrure brune, sur un fond formé de deux bandes verticales grise et noire. Pourbus y fait preuve d'une magnifique maîtrise de l'art du portrait.
Notre tableau, très probablement un autoportrait du peintre, date du début de sa carrière. C'est une œuvre de jeunesse ; on y sent exprimées, en dépit de ses quelques maladresses, la fierté du métier et la promesse d'une belle carrière. Un nettoyage du vernis ancien a révélé la signature et la date, aujourd'hui difficilement lisibles à l'œil nu. Le nom est déchiffrable mais le dernier chiffre de la date pose un problème de lecture. On pense pouvoir distinguer un zéro, ce qui situerait la réalisation de cet autoportrait en 1570, soit peu de temps après l'inscription du peintre à la guilde.
Les Musées royaux de Bruxelles possèdent une autre version sur panneau de notre tableau, actuellement en cours de restauration[2]. La facture des deux œuvres est très proche, équivalente en terme de qualité malgré quelques inégalités de traitement à certains endroits. Le tableau a longtemps été donné à Cornelis van Harlem, sur la base de la ressemblance du modèle avec celui du portrait gravé par Hendrik Hondius (1573 – 1640) dans son Theatrum Honoris[3]. Il est vrai que les deux modèles sont jeunes, coiffés et habillés d'une manière similaire, mais cela ne suffit pas à identifier Cornelis van Haarlem avec certitude. Par ailleurs, l'attribution du tableau à l'artiste hollandais a été rejetée à plusieurs reprises. Cornelis était d'ailleurs venu à Anvers vers 1579, s'était présenté à l'atelier de Frans Pourbus mais, n'ayant pas été accepté par le jeune maître, était entré chez Gillis Coignet[4].
Qu'il s'agisse d'un autoportrait de Frans Pourbus ne peut pas non plus se prouver d'une façon documentaire. Les portraits de Frans Pourbus l'Ancien sont rares et souvent posthumes donc peu fiables. Ainsi le portrait gravé réalisé par Hendrik Hondius pour son Theatrum Honoris offre une image du peintre un peu raide, assez stéréotypée, certainement peu ressemblante. Le graveur s'est certainement inspiré d'un portrait aujourd'hui disparu. L'image, qui montre le peintre un peu plus âgé et portant la barbe, n'est cependant pas incompatible avec notre portrait. Quant à l'œuvre conservée aux Offices de Florence (inv. 4059), il ne s'agit certainement pas d'un autoportrait contrairement à ce que l'on peut lire parfois, le tableau étant certainement bien plus tardif. Elle n'est donc d'aucune utilité dans l'identification de notre autoportrait.
Ce qui fait pencher en faveur d'un autoportrait, en revanche, est le fait que la peinture rouge utilisée pour la signature, écrite dans la pâte en lettres majuscules sur le bas de la palette mais aujourd'hui peu lisibles, est la même que celle qui est au bout du pinceau que le peintre tient de sa main droite. Il veut donc suggérer qu'avec ce pinceau, il vient de finir et de signer son tableau. Par ailleurs, il paraît logique que le peintre, peu de temps après son mariage et son admission à la guilde, par enthousiasme et fierté, ait réalisé son autoportrait. La manière est libre, bien plus relâchée que dans les portraits de la fin des années 1570, ce qui révèle que l'œuvre peut être datée peu de temps après la fin de son apprentissage chez Floris, peintre italianisant, qui avait longuement séjourné dans la péninsule et rapporté à Anvers une formule inspirée à la fois de Michel-Ange, de Vasari et du Tintoret. Un portrait d'homme récemment passé en vente[5], datant d'un peu plus tard dans sa carrière, montre la même façon de peindre le vêtement, par larges et visibles coups de pinceau. Quant à la collerette, rapide et presque négligée, mais tout de même bien brossée, elle rappelle celle d'Abraham Grapheus du Fine Art Museum de San Francisco (1957.159, don de M. et Mme Arnold H. Bruner).
La réapparition de ce tableau signé contribue donc à enrichir notre connaissance de l'œuvre de Frans Pourbus et permet d'éclaircir l'attribution du tableau de Bruxelles.
[1] Carel Van Mander, Henri Hymans, Le livre des peintres de Carel van Mander : vie des peintres flamands, hollandais et allemands, Paris, J. Rouam, 1884, p. 21-24.
[2] Nous remercions chaleureusement madame Sabine Van Sprang de nous avoir aidé à examiner cette œuvre actuellement dans l'atelier de restauration du musée.
[3] Hendrick Hondius, Robert de Baudous, Simon Frisius, Andries Stock, Theatrum honoris in quo nostri Apelles, saeculi seu pictorum, qui patrum nostrorum memoria vixerunt celebriorum praecipue quos Belgium tulit, verae et ad vivum expressae imagines in aes incisae exhibentur, publié pour la première fois en 1610.
[4] Carel Van Mander, op.cit., p. 251.
[5] Sotheby's New York 29 janvier 2015, lot 34.