Théodore Géricault
Théodore Géricault
Rouen 1791 - Paris 1824
Four harnessed horses seen from behind, and a groom | Quatre chevaux attelés vus de dos, un palefrenier

Mine de plomb sur papier
Monogrammé G en bas à droite
Inscrit Géricault sur la feuille de montage originale
190 x 155 mm (7 ½ x 6 1/8 in.)
Lorsqu'il arrive en Angleterre en avril 1820, puis encore lors de son second voyage en 1821, Géricault apporte avec lui sa vision propre du cheval et du monde équestre. Nourrie par une passion personnelle qui remonte à l'enfance – Rosenthal rapporte que Géricault guettait la sortie des équipages de luxe à la porte des grands hôtels parisiens pour regarder les mecklembourgeois à haute encolure [1] – et enrichie par sa formation chez Carle Vernet, puis par son voyage en Italie, cette vision ne trouve cependant pas d'écho en Angleterre où les modèles en vogue sont ceux développés par l'imagerie liée au monde des courses hippiques et du sporting art. Délaissant le cheval romantique de l'Officier des chasseurs à cheval de la Garde Impériale, chargeant ou du Cuirassier blessé et le cheval sauvage et indomptable des Courses de chevaux libres à Rome, Géricault va tenter de s'intéresser, à Londres, au cheval de course, véritable instrument de démonstration d'un statut social et d'un succès dans les affaires. Cette recherche aboutira au tableau du Derby d'Epsom, réalisé pour son ami et logeur, le marchand de chevaux Adam Elsmore.
Mais plus encore que la monture aristocratique, c'est le cheval de trait – véritable outil de travail, essentiel à l'essor de l'économie industrielle –, qui va retenir son attention, sans doute même son affection. Au même moment, la technique de la lithographie, qui connaît à Londres une « vogue inconcevable [2] », lui donne l'opportunité d'explorer ce monde équestre anglais. Dans la série produite par l'éditeur Charles Hullmandel, Various Subjects Drawn from Life and on Stone ou Suite anglaise, il se plonge au cœur de la rue londonienne, de la vie populaire, du monde des maréchaux-ferrants, des travaux de halage et des charbonniers. La réalisation d'une lithographie par Volmar chez Villain puis chez Gihaut, Le Retour à l'écurie [3], montre qu'après son séjour anglais, il continue à s'intéresser « à la force de ces chevaux de trait qu'il avait découverts en Angleterre » et qui probablement lui rappellent ceux de son enfance normande.
Ce dessin, inédit jusqu'à présent, provient d'un album assemblé vers 1860 qui a préservé sa fraîcheur et son attribution, la feuille sur laquelle il était monté portant une étiquette inscrite Géricault. Par son sujet, il se rattache tout à fait à ce monde du cheval travailleur, dans l'agriculture comme dans l'industrie. Son point de vue est original, présentant en surplomb les croupes vigoureuses des quatre animaux harnachés de chaque côté du timon. Les lithographies Entrance to the Adelphi Wharf ou Six chevaux allant à la foire ou le tableau Le Four à plâtre (Paris, musée du Louvre) appartiennent à la même catégorie de représentations sans fard guidées par une recherche de réalisme : vus de dos ou de profil, hommes et chevaux meuvent ensemble leurs corps de travailleurs. Géricault sait rendre en même temps la puissance de leurs mouvements et la pesanteur de leurs corps instrumentalisés. Une feuille du Louvre (Inv. 26740) représente deux chevaux de halage vus de dos, avec un troisième esquissé sur le côté gauche, d'un graphisme peut-être un peu plus rapide que sur notre feuille, mais très similaire. Le point de vue est plus bas, puisque l'on voit la panse du premier cheval apparaître sous sa croupe. Une autre, reproduite dans le catalogue raisonné de l'artiste, est encore plus proche de notre dessin, mais plus esquissée également : elle montre deux chevaux de dos, harnachés comme les nôtres avec un collier d'épaule que Germain Bazin identifie comme français [4]. Enfin, un troisième dessin, Roulier conduisant un chariot, montre quatre chevaux – les deux de devant n'étant qu'esquissés – tirant une voiture par des traits attachés à des palonniers ; un attelage qui rappelle fortement celui de notre dessin, si ce n'est que le roulier marche à côté au lieu d'être assis sur l'un des chevaux [5].
Cette feuille fait preuve d'une grande virtuosité et d'un sens remarquable de la perspective. La facilité et l'aisance avec lesquelles elle semble avoir été réalisée dissimulent la complexité de la composition qui met en scène ces quatre croupes allant d'un même pas. Ce rythme qui les unit illustre parfaitement les propos d'Henri Bouchot qui loue, à propos du « peintre définitif des chevaux », « l'entente des allures, la science de la marche, une certaine poésie donnée par lui à des choses jusque-là traitées un peu à la diable, sans grand souci [6]».
[1] Léon Rosenthal, Les Maîtres de l'art, Géricault, Paris, Librairie de l'art ancien et moderne, Paris, 1905, p. 9-10.
[2] Germain Bazin, Théodore Géricault. Étude critique, documents et catalogue raisonné, Paris, Fondation Wildenstein, t. I, doc. 191, p. 62. Cette lettre, qui n'a été pendant longtemps connue que par la transcription volontairement incomplète qu'en avait donné Clément, est passée en vente en 1999. Elle est aujourd'hui au musée des Lettres et Manuscrits à Paris.
[3] Un exemplaire est au British Museum, inv. 1869,0410.122.
[4] Deux timoniers marchant au pas dans Germain Bazin, op. cit., tome VII, n° 2613, p. 246, illustré.
[5] Germain Bazin, op. cit., tome VII, n° 2153, p. 77, illustré.
[6] Henri Bouchot, La lithographie, Paris, Librairie Imprimerie Réunies, 1895, p. 82.